Débat sur l’inflation … et la stabilité financière
Après avoir vivement critiqué l’ampleur des paquets fiscaux de l’administration Biden, son propre camp politique, l’économiste Larry Summers revient en force. A l’occasion d’une conférence organisée par la Réserve Fédérale d’Atlanta, Summers s’est fendu d’une nouvelle critique pour le moins appuyée. Au centre des préoccupations: l’inflation bien sûr, mais plus encore la stabilité financière et les limites de l’action publique.
Le Financial Times commente ce nouvel épisode d’un débat public devenu – enfin! – incontournable (1).
Je prends quelques libertés en réorganisant l’ordre des extraits qui suivent:
(je surligne)
Lawrence Summers, the former US Treasury secretary, has sharply rebuked the Federal Reserve for its loose monetary policies, accusing the central bank of creating a “dangerous complacency” in financial markets and misreading the economy.
Summers said monetary and fiscal policymakers had “underestimated the risks, very substantially, both to financial stability as well as to conventional inflation of protracted extremely low interest rates”.
None of that has deterred Summers from taking a very public stance. On Tuesday he said that the Fed’s new policy framework, approved in August last year to be more tolerant of inflation after the lessons of the financial crisis, was not fit for the current environment.
“It is not a reasonable place for policy to be in a world where the budget deficit has been expanded by 15 per cent by stimulative policy,” Summers said.
“Policy projections suggesting that rates may not be raised for . . . close to three years are creating a dangerous complacency,” Summers said, adding that the Fed could be forced into a knee-jerk tightening of monetary policy that would spook markets and even hurt the real economy.
“When, as I think is quite likely, there is a strong need to adjust policy, those adjustments will come as a surprise.” That “jolt” would do “real damage to financial stability, and may do real damage to the economy”, Summers warned.
“The primary risks today involve overheating, asset price inflation and subsequent financial excessive leverage and subsequent financial instability. Not a downturn in the economy, excessive unemployment and excessive sluggishness,” Summers said.
Stabilité financière
Plusieurs arguments de Summers retiennent l’attention de ce billet:
- Dans un paysage politiquement très fragmenté, ses motivations sont plus fondamentales que politiques. C’est nécessaire et rafraîchissant au moment d’évaluer la pertinence des politiques publiques;
- Summers et son hypothèse de stagnation séculaire font partie des voies qui comptent en matière de doctrine publique de l’après-crise financière;
- De fait, et c’est l’une des critiques que formule son propre camp politique, Summers remet en question le dosage du ‘policy mix’ monétaire et budgétaire ;
- Sa critique va bien au-delà de l’inflation. Elle est centrée sur le ‘moteur’ macro-financier de l’ère covid: les nouvelles guidances monétaire et budgétaire…
- … ou plutôt leurs conséquences inattendues sur les marchés financiers et l’économie. C’est probablement le sujet le plus important de cette contribution.
- La critique de Summers remet en question l’une des hypothèses centrales du consensus d’investissement: les autorités publiques n’auront d’autre choix que de poursuivre leurs approches expansives.
- C’est une proposition d’autant plus tentante que son pay-off, pour reprendre un terme économique, est totalement biaisé en faveur des institutions financières qui l’embrassent: pile je gagne, face tu perds. Pile les politiques expansives se poursuivent et les marchés continuent d’en profiter, face elles s’arrêtent (ou doivent s’arrêter), et les autorités publiques en seront responsables. Avec la crise sanitaire, l’aléa moral prend une dimension macro-financière inégalée.
Limites des politiques publiques
C’est bien à cela que Summers s’intéresse :
- une guidance monétaire inappropriée face à une véritable explosion budgétaire,
- un problème d’aléa moral savamment entretenu par la guidance qui précède. Summers a raison d’insister sur ce point,
- des acteurs financiers trop heureux d’en profiter: trend is your friend!
- une évolution boursière chauffée à blanc,
- des problèmes de stabilité financière de plus en plus apparents …
- … dont les attentes d’inflation ne sont qu’une des facettes.
Le débat sure les limites et les effets secondaires des politiques publiques ne date pas d’hier. La crise sanitaire le rend simplement plus apparent.
Jacques
(1) Larry Summers accuses Federal Reserve of ‘dangerous complacency’ over inflation, Financial Times, May 18, 2021